La France vit une période tendue, qui va jusqu’à rappeler mai 68 à certains. Le gouvernement « socialiste » ne cesse de se droitiser et la rue se radicalise. Après trois mois de manifestations contre la loi El Khomri, des grèves et des blocages majeurs, pas un geste d’apaisement du pouvoir. Pire, la stratégie de la tension est devenue la norme pour juguler le mouvement et les violences policières semblent être hors de contrôle.
Il est d’ailleurs intéressant sur ce fait de comparer ce qu’il se passe en France et ailleurs.
Une ville cristallise cette tension : Nantes. Pourquoi la Cité des Ducs, terre électorale historique de la gauche, est-elle à ce point en première ligne ? Quelques éléments permettent de l’expliquer.
Au passage, si vous avez un côté voyeur et que vous voulez suivre en direct la prochaine manif depuis votre canapé, cliquez ici pour avoir accès à la plupart des caméras de surveillance de la ville…
Perdre un œil en manif
Les causes sont de plusieurs natures, notamment sociologiques et
historiques. Mais il y a un élément dont on ne parle jamais aux heures de grande écoute : les mutilations de manifestants dues aux exactions policières. S’est montée à Nantes une Assemblée des Bléssés qui recense déjà plus de 20 victimes et dénonce des violences sans précédent ces dernières semaines. Pourtant, des précédents, il y en a ici.
Depuis 2007, les flash-balls LBD40 ont déjà éborgné 5 manifestants malgré l’interdiction officielle de tir à la tête.
Voir ici le dossier de Mediapart consacré à cette arme terrible. La première victime, Pierre Douillard-Lefevre, qui a perdu son œil droit à 17 ans (policier relaxé) est l’auteur tout récemment d’un ouvrage universitaire sur ce thème. Je conseille vivement son interview aux Inrocks, à la fois passionnante et terriblement pessimiste.
Il faut donc bien comprendre qu’il règne à Nantes un climat délétère, en amont de chaque manifestation. On sait, quand on bat le pavé ici, qu’on va se faire gazer, charger… voire tirer dessus au LBD. C’est devenu systématique.
ZAD partout !
Parmi les raisons qui sautent aux yeux, il y a bien sûr la proximité avec la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, où doit être construit un nouvel aéroport pour remplacer celui de Nantes Atlantique. Ce projet daté de plus de 50 ans génère une réelle fracture en ville et divise la population en deux camps absolument certains de détenir la vérité. A plusieurs reprises ces dernières années, que ce soit à NDDL ou à Nantes, la tension est montée avec les forces de l’ordre. Les Zadistes, en très grande majorité pacifistes mais trop souvent dépeints comme des sauvages par la presse locale, sont partie prenante des cortèges récents. Une consultation est prévue le 26 juin 2016 pour trancher sur le transfert (avis consultatif). A lire ici une analyse intéressante des implications des différents résultats possibles par Goulven Boudic, maître de conférence en Sciences Po Nantes.
Nous ne voterons plus PS
Il faut ensuite souligner les résultats extrêmement positifs de la gauche, et notamment du PS, ces dernières années. Nantes est aux mains socialistes depuis 1989. La déception envers
le gouvernement, présente partout, n’en est que plus marquée. Au-delà d’avoir « le coeur à gauche », la population locale baigne aussi dans une intense tradition anarcho-syndicaliste. Depuis le XIXe siècle, cet ancrage y est plus présent qu’ailleurs et la CGT locale n’a pas effectué le rapprochement avec le PC de ces dernières décennies, initié au niveau national. Pas besoin de se rappeler des dockers de Saint-Nazaire accueillant les CRS avec des chalumeaux dans les 50’s pour s’en convaincre. Il suffit de constater la présence dans les manifs et sur les réseaux sociaux des Anars, Libertaires et autres Antifas. La page facebook Nantes Révoltée, forte de près de 30 000 likes, mène une véritable lutte contre l’état, dans les mots et dans les actes.
Profiler
Il y a donc de nombreux profils qui cohabitent dans les
manifestations récentes contre la loi
travail dans les rues de Nantes.
En plus des « historiques », on trouve donc des anarchistes/antifascistes parfois très bien organisés et résolus à la lutte violente ; des éléments périphériques au mouvement de la ZAD de NDDL, tristement avinés et souvent en première ligne contre la BAC ; des jeunes, très souvent mineurs, qui profitent du remue-ménage pour se défouler en brûlant des voitures ou saccageant des magasins de sport ; des policiers en civils, extrêmement agressifs, qui font monter la tension dans le cortège et reprennent leur place et leur brassard dans la foulée…
Situation extrêmement tendue, donc, et dont on voit mal comment elle pourrait s’améliorer sans un véritable travail d’apaisement et d’écoute de la part des autorités. On l’a vu récemment avec les hooligans venus se fighter en France pour l’Euro, la police hexagonale est très vite débordée quand ça part en vrille (constat terrible dans les colonnes du Guardian). S’il ne faut pas généraliser ou tirer de conclusions nationales de ce constat, Nantes semble être un bon baromètre de la radicalité du mouvement contestataire
. Qui lâchera le premier, le gouvernement ou la rue ? Affaire à suivre…