Cannes, côté clito

Le plus grand safari du cinéma mondial s’est clôturé la semaine dernière sous les palmes et le soleil, mais sans moi. En effet, pour cette 70e édition, j’ai préféré ranger mes stilettos, ma Jeep et mon mode selfie au placard et prendre un peu de recul. La conséquence en a été un pic de FOMO long de deux semaines, à l’affût de miettes de nouvelles croustillantes de la Croisette. Et je sais que ça va me faire mal quand les films de l’année sortiront en salle, de ne pas pouvoir dire : « Je l’ai vu à Cannes, énorme bouse. Mais toi, tu vas peut-être aimer. » Le motif de cette décision c’est que l’an dernier, en plein festival, j’ai eu comme une fatigue. Une vraie bonne fatigue de femme indisposée.

Le premier coup de barre est arrivé comme un couperet quand une connaissance photographe m’a rapporté que pour le shooting Insta de la nouvelle égérie l’Oréal chinoise Xiao Wen Ju, avant la montée des marches, il avait vu débarquer une armada. 12 personnes. Ben quoi ? Il faut bien assurer le make-up, la déco, les fleurs, le cheveu, le stylisme, la lumière, le coaching d’expression faciale, le facing produit, le prix Nobel de mathématiques qui calcule l’angle et le timing du Boomerang… Une véritable équipe de tournage. Coût de l’opération pour un post : environ 50 000 euros. Le budget d’un court-métrage. Bénéfices : 500 000 au bas mot. Pourquoi faire des films quand on peut faire des likes ? Voilà qui allume des étoiles dans les yeux des filles de tout l’univers, filles à la beauté hors compétition que l’on retrouve en tenue d’Instagram à faire la queue en trépignant devant l’entrée des soirées les plus courues du festival, sans sésame, transies de froid, attendant qu’un prince vienne sécher le Rimmel de leurs larmes de frustration avec une invitation pour deux. Fatigue.

D’accord, c’est le folklore. D’accord, la Croisette sans starlettes c’est triste comme le cinéma expérimental sans branlette.  Mais moi, voir une femme se faire bouffer les entrailles par le blaze of glory, ça me file la nausée. Un peu comme pendant la projection du « Neon Demon » de Nicolas Wingding Refn en 2016, ou de   l’« Antichrist » de Lars Von Trier quelques années plus tôt. En dehors de toute considération personnelle sur la qualité des œuvres en question – je ne vous dirai pas que j’ai vraiment aimé ces deux films, j’aurai du mal à l’assumer – lors de ces deux projections, dans l’obscurité du prestigieux grand auditorium Louis Lumière, mes tripes avaient connu une sensation toute nouvelle. Pas tellement celle de faire partie des happy few qui  découvrent l’objet de la rumeur grondante de la Croisette, non. Ma matrice, mon nannan de femme avait été sérieusement bouleversé par ces corps féminins torturés (excision dans « Antichrist », cannibalisme dans le « Neon Demon »). Car c’est souvent de cela dont il est question à Cannes : de femmes soumises aux desiderata de ces hommes si géniaux et si caractériels que sont les réalisateurs chouchous du festival.  Je recommande d’ailleurs fortement, à ce propos, le documentaire tourné par Mme Wingding Refn, Liv Corfixen, durant le tournage du triste « Only God Forgives ». Son film est un carnet de voyage du tournage chaotique de son époux à Bangkok. Le film s’appelle « My Life Directed by Nicolas Wingding Refn ». Le titre parle de lui-même : garder les enfants, soutenir son mari, porter des belles robes en festival, elle y expose un panel d’activités enthousiasmantes. Fatigue.

Cette année, parmi les membres de ce jury 2017, la merveilleuse Jessica Chastain, ma girl crush par excellence, a osé jeter son pavé dans la mare en déplorant au sein de cette sélection une « disette de personnages féminins authentiques » – commentaire prononcé avec émotion en pleine conférence de presse. Il est vrai que lorsque l’on visionne 20 films en 10 jours, on obtient un panorama indiscutable du regard porté sur les femmes dans la sélection officielle.  Et la merveilleuse Jessica Chastain d’ajouter qu’elle souhaiterait voir des rôles dans lesquels les femmes ne se contenteraient pas de réagir aux actions des hommes autour d’elles. Femmes satellites, objets collatéraux du destin masculin… Quand même, Jessica, tu es un brin rabat-joie. Heureusement, Will Smith, son co-juré, a remis un peu d’ambiance avec un de ses traditionnels triple axels en ajoutant : « Un Noir par-ci par-là, ça ne ferait pas de mal non plus. Mais on en parlera une autre fois. » Merci, Will. Double fatigue.

Pourtant, il faut rendre justice au lineup cannois de 2017 qui fut l’un des plus féminins de tous les temps avec les présences de Sofia Coppola, Naomi Kawase et Lynne Ramsay en compétition. Le Festival s’est d’ailleurs bien frotté le corps avec cette donnée qui le libérait de toute accusation d’iniquité. Mais en y regardant de plus près, les films réalisés par des femmes n’auront encore cette année représenté que 15, 8% des projets. On parle tout de même du festival qui a amputé la taille de Claudia Cardinale sur son affiche pour la rendre plus… plus muse, plus pleine de vie, de joie et de cinéma, je suppose.

Les muses, parlons-en. Le Festival a ses favorites attendues à chaque édition. Parmi elles, la « petite fiancée de Cannes », Sofia Coppola qui a remporté le prix de la mise en scène avec son film féministe au casting méga-féminin. C’est à se demander pourquoi je râle. Parce que ! Sofia Coppola n’est plus une petite fiancée mais une réalisatrice chevronnée, qui doit absolument arrêter de nous faire subir ses mauvais films, mais qui mérite quand même d’être débarrassée de ce statut paternaliste. En parlant de chevrons, la reine Jane Campion est à ce jour la seule femme détentrice d’une Palme d’Or. Elle a d’ailleurs fait pour cette raison l’objet d’une standing ovation cannoise lors d’un hommage qui lui a été rendu cette année. Tonnerre d’applaudissements qu’elle a ponctué sobrement par ce : « Quelle tragique raison d’être applaudie. » Idole.

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Au rayon muses, nous avions cette année en première ligne Tilda Swinton, Isabelle Huppert, Elle Fanning, Julianne Moore, Nicole Kidman et enfin, Diane Kruger, prix d’interprétation féminine. Des actrices remarquables, au demeurant. Mais mises côte-à-côte, on voit bien qu’il y a une couille dans la diversité. Peut-être le côté poupée de porcelaine plaît-il davantage à ces messieurs les réalisateurs, ou bien ont-ils une fascination pour les beautés diaphanes de l’âge d’or hollywoodien. Du coup, l’explosion de joie de Houda Benyamina, primée pour « Divines » l’an dernier, me revient en mémoire comme l’événement majeur de cette dernière décennie de cinéma. Femme et non-Blanche, elle avait félicité son producteur pour son « clito ».

Mais puisque la visibilité n’est pas donnée à toutes, il faut remercier grandement celles qui en jouent pour faire avancer les lignes. Nicole « Australia » Kidman dont la visibilité bat tous les records, s’est elle aussi exprimée à ce sujet pendant le festival en dévoilant un chiffre d’une grande tristesse : 4 %.  4 %, c’est la proportion de blockbusters hollywoodiens réalisés par des femmes en 2016. Tu m’étonnes que les majors aient considéré comme un pari risqué de confier la réalisation de « Wonder Woman » à Patty Jenkins, génie (mot à prononcer au féminin) OSCARISÉE pour son « Monster » à 8 millions de dollars en 2003. Lui confier 150 millions de dollars pour réaliser le DC du siècle, ne serait-ce pas donner de la confiture à des cochons ? Résultat des courses, une semaine après sa sortie, le bruit court qu’il s’agirait là du film de super héros DC le plus réussi de l’histoire de l’humanité. BOOM ! Le film sort en salles mercredi en France, vous me direz s’il a du clito.