Le quart d’heure de l’invité : Mwasi en fait-il trop?

Note de la rédaction :
Dans « le Quart d’heure de l’invité » nous recevons le temps d’un billet, des auteurs ou des personnes répondant à l’urgence rédactionnelle d’exposer leur opinion. Nous ne les partagerons pas toujours, elles donneront parfois lieu à des articles pour poursuivre le débat, mais nous leur accorderons le quart d’heure de réflexion nécessaire. A la suite de la polémique MWASI, Cyril.N s’est interrogé sur la pertinence d’importer les moyens de lutte pour les droits civiques afro-américains en France. 

Hé ! Toi là ! Oui, toi ! C’est ça même, toi là. Laisse-moi te dire quelque chose ! 

Réclame : Chers lecteurs ce début de billet  peut être décliné et recyclé un nombre incalculable de fois au gré de vos humeurs. Avec cette entrée en matière « An toute sauce », assaisonnez vos sermons, indignations, apostrophes et tirades.

Lundi matin, j’arrive au boulot et je m’installe pépère armé d’une ou deux chips (ceux qui savent, savent) et je fais ma revue de presse quotidienne. Trump foutait la honte à l’Amérique en ne sachant pas distinguer Proche et Moyen-Orient […] Macron, quant à lui, lâchait quelques lyrical gunshots agrémentés d’un regard « pété bal ! » à Poutine […] Super Méluche accusait Cazeneuve d’assassinat. Bref, tout va bien.

Quelle ne fut pas ma surprise à la découverte du Festival afro-féministe Nyansapo constitué d’ateliers non mixtes… Alors comme ça, on se permet de créer un festival dont les ateliers font l’apologie d’un séparatisme ethno-racial ? Okay.

« Alors écoute moi bien » (B*tch, be humble!)

Réclame : Après l’incroyable aventure « An toute sauce », nous revenons encore plus fort ! Cette formule réduite mais toute aussi efficace que l’originale vous garantira l’effet de surprise sur votre interlocuteur en l’interpellant calmement, sans laisser présager la frappe chirurgicale qui l’attend au tournant (ps : tout est dans le « BIEN »)

  • Les minorités visibles de ce pays subissent-elles un racisme systémique ?  Oui.
  • Les élites politiques de gauche se gargarisent-elles d’être les portes-drapeaux de l’antiracisme en France alors même qu’elles participent à la perpétuation d’un racisme institutionnalisé derrière lequel les convictions humanistes affichées laissent place à la survie de classe ? Oui.
  • Est-il nécessaire de contribuer à l’éveil des opprimés et de leur redonner une dignité dans un pays qui fait fi des douleurs et frustrations ancrées dans la chair et l’esprit de nombreux d’entre nous ? Oui.

Par contre ! 

Détendez-vous, pas de réclame. Mais vous y avez cru.

Ici, ce ne sont pas les States. Alors oui… Suis-je souvent pris de passion débordante pour la façon dont les Noirs Américains ont mené leur lutte pour les droits civiques et œuvré perpétuellement à la réhabilitation de la figure Noire dans l’Histoire nord-américaine ? Evidemment ! William-Antwone Smith, Danny-Ezequiel Washington, Byzance Knowles… I mean… De grands auteurs ! Toutefois, si la situation globale de l’Homme Noir en occident révèle des similarités, il convient de rappeler quelques évidences.

En effet, considérant que la question coloniale demeure cruciale et continue de déterminer les rapports de force sociaux, culturels et économique en France, (et ce largement en défaveur des afro-descendants), force est de constater qu’un parallèle avec l’histoire nord américaine comporte certaine limites.

Au sortir des douloureuses guerre d’indépendances, nombreux de nos aïeux prirent le large pour s’installer en ‘métropole’.

  • Oui, ils n’arrivaient pas dans cet ère post coloniale dans des conditions idéales
  • Oui ils furent confrontés a un degré de racisme violent
  • Oui ils étaient condamnés à s’établir dans des ghettos et ont été progressivement laissés pour compte, ajoutant au racisme ambiant une logique de séparation dans l’espace.

Toutefois, ces conditions objectivement difficiles d’intégration dans un tout français demeuraient un chouia différentes étant donné le sort réservé aux noirs américains outre atlantique a cette même période.

  • Où des milices blanches organisées de type Klux Klux Clan, parcouraient les villes a la recherche de niggers à tuer, dans l’indifférence généralisé;
  • Où. La LOI était contre eux, comme ce fut le cas sous le régime Jim Crow aux Etats Unis qui imposait une ségrégation de droit dans tous les lieux et services publics.
  • Où le simple fait de faire ses besoins était un parcours du combattant, l’usage des toilettes étant également marquée du sceau de la ségrégation

En effet, nous vivons dans une société finalement autant voire bien plus hypocrite que la nord-américaine, mais qui s’est tout de même gardée de commettre l’irréparable.

Respirez, encore quelques efforts, j’ai bientôt fini.

Alors je vois certains arriver à grandes foulées pour m’asséner de quolibets du genre « Oncle Tom ».

  • A ceux qui prétendraient que ce billet minimalise l’ampleur du défi qui se pose à une société française hypocrite et schizophrène, je réponds de ne pas céder à l’hystérie collective et que suggérer une mise en perspective des luttes raciales contemporaines ne fait pas de moi un « collaborateur ».
  • A ceux qui estiment qu’au racisme institutionnalisé, tacite et diffus dont souffrent les minorités visibles de ce pays, il faut répondre par de l’antiracisme se confinant dans le communautarisme, je réponds que l’exemple Noir Américain n’est pas vraiment un modèle de réussite (la population noire américaine continue d’être la catégorie ethnique concentrant en son sein le taux de pauvreté le plus élevé).
  • A ceux qui estiment que cette polémique a été montée en neige par les apôtres de l’antiracisme qui ont vu un joli nonoss’ sur lequel se jeter, alors même que c’est un site d’extrême droite qui lançait l’alerte,  je réponds que je ne suis pas naïf et que j’en ai parfaitement conscience.

Mais je réponds également que déverser dans une idéologie séparatiste, aussi louables soient les intentions de départ, c’est donner le bâton pour se faire battre.  Si je conçois bel et bien qu’il est très difficile de ne pas succomber au charisme fascinant des Noirs Américains, je vous le dis tout de suite,  je n’échangerais pour rien au monde ma place contre celle d’un Nigga. Car oui, être Noir en France et être Noir aux States, ce n’est pas exactement pareil.

Si cela vous tente de voir naître dans les universités un Black Student Union (Syndicat des Etudiant Noirs »),  je vous en prie.
Si cela vous tente que parallèlement aux Césars, nous créions une association nationale pour l’avancement des gens de couleurs à l’image du NAACP aux Etats-Unis, je vous en prie.
Si cela vous tente de créer une société parallèle réservée aux opprimés, permettant à la majorité de ce pays de se taper sur l’épaule en disant « bon bah depuis qu’ils restent entre eux ils ne se portent pas plus mal » sans que les conditions sociales et économiques faisant de beaucoup d’entre nous des « laissés pour compte » changent réellement,  je vous en prie.

Comprenez bien. Je grossis volontairement le trait pour dénoncer le type de société encore plus fracturée vers laquelle nous tendrons si nous venions à épouser une logique identitaire poussée.

Ce n’est pas parce que nous continuons d’être confrontés à un plafond de verre, au biais racial voire à la discrimination assumée de la part de certains de nos concitoyens, que je devrais opposer une solution qui, à part nous parquer dans un entre-soi galvanisant, ne changerait pas radicalement nos conditions d’existence.

Loin de moi l’idée de caricaturer la base militante et associative se réclamant de l’antiracisme. Simplement,  il me semble possible de faire de l’antiracisme en bonne intelligence. Cela signifie mener une lutte sociale et émancipatrice, qui soit en accord avec le contexte socio-historique de ce pays  sans tomber dans la dérive identitaire basée sur l’idée fantasmée des luttes menées outre-Atlantique.

Je sais bien que cet avis n’est pas très populaire et que la posture du nègre fâché et désabusé prédomine.
Je sais bien que la mode est à la rébellion, après tous les pala et viré déjà encaissés.
Je sais bien que les  « Dear white people » de ce pays ne se réveilleront pas un beau matin la main sur le cœur, réalisant les nombreux privilèges que leur octroie leur pigmentation.

Mais par pitié, ne tombez pas dans le piège tendu par ces années d’abandon et mépris de classe/race. Et quitte à s’inspirer de l’Amérique Noire, tournez-vous vers James Baldwin dont la lecture nuancée ne suggérait pas de cultiver l’entre-soi. Bien au contraire.

 

Lutter contre les discriminations de tous bords (racisme, sexisme, homophobie, islamophobie, etc.) c’est aussi inviter celui identifié comme l’oppresseur à se questionner pour découvrir l’étendue du fléau qu’il s’est efforcé à imposer à l’autre, car en effet j’ai écrit un article pété bal qui hystériserait le débat alors même que je souhaite proposé autre chose.

* Photo de couverture : droits réservés,  capture d’écran de l’affiche du festival afroféministe Nyansapo